jeudi 3 novembre 2011

Georges Ugeux sur la recapitalisation des banques, l'histoire d'un rétropédalage

La dette émise par la Grèce (et d'autres) dépasse la capacité de remboursement. Historiquement, ce genre de problème se résolvait par l'annulation de l'excès de dette. Mais ça, c'était avant la montée en puissance de l'Institute of International Finance (IIF), le lobby bancaire regroupant 420 membres dont les doux noms de la finance que sont AIG et Goldman Sachs, épaulé par une BCE complice, et faisant face à des gouvernements divisés et peu compétents (pour ce qui concerne la France) en matière de finance.

C'est en substance ce que dit Harald Hau, professeur à l'institut de finance de Genève, dont on il faut lire un billet traduit dans ce blog (cf ici) qui analyse le plan de sauvetage de Juillet comme un impôt pour les plus riches.

Pourquoi les plus riches? Parce que la répartition de la richesse au sein des détenteurs ultimes (en remontant la chaîne des participations) de la dette grecque n'est pas très différent de celle qui prévaut en moyenne : Les 5% les plus riches détiennent 70% du patrimoine, aux Etats-Unis, et à quelques pourcentages près dans le monde (puisque les Etats-Unis se répartissent la grosse part du gâteau) . Or la concession demandée au banque (21% de décote), dans le plan de Juillet, était minime (et en dessous de la décote du marché, 50%) en comparaison avec le total garanti par l'EFSF, le solde s'interprétant comme une subvention aux créanciers de la planète, donc, en grande majorité, les plus riches.

L'opinion avait été soigneusement préparée par des personnalités de la finance, pour certaines renommées. Que n'a t'on pas lu pour faire comprendre que si on cédait d'un pouce sur le principe de remboursement, les créanciers ne nous prêteraient plus? Citons, par exemple, cet extrait de Jean Peyrelevade, tiré de son billet Actualité (13):
Les marchés, donc vous et moi, les épargnants du monde entier, les fonds de pension, les caisses de retraite, les compagnies d’assurance, les pays émergents dont les finances sont en bien meilleur état, en un mot les citoyens et les peuples, ont soudainement pris conscience de l’impéritie de nos gouvernants. Et vous voudriez qu’ils continuent à leur prêter ? Qui le ferait sur ses économies personnelles parmi ceux qui aujourd’hui condamnent les marchés ?
Mais à la Banque de France, on a trouvé aussi bien:
Le sous-gouverneur de la Banque de France [Jean-Pierre Landau] remarque que les emprunteurs et les créanciers sont les mêmes personnes à travers les livrets d’épargne, les contrats d’assurance-vie et les fonds de retraite qui prêtent aux Etats, c’est-à-dire à eux-mêmes.
En vérité, ce passage, tiré d'un article du Monde, visait non à justifier les plans de sauvetage des états souverains en difficulté, mais le jugement, immoral et dangereux (c'est le titre de l'article), sur la tentation de sortir de la crise par l'inflation. Mais ce n'est pas moins révélateur d'un certain catéchisme tenant lieu d'analyse dans cette institution, car si le créancier et l'emprunteur est la même personne, l'inflation est parfaitement indolore!

Quant à Georges Ugeux, dont la société qu'il dirige est membre de l'Institute of International Finance, au côté des doux noms de la finance AIG et Goldman Sachs, il avait analysé la chose un peu comme Harald Hau, lors du plan de sauvetage de Juillet :
C’est donc le contribuable qui assume l’essentiel du poids du sauvetage.
Et puis quelque chose s'est passé. Suite à la révision de la décote, des 21% prévue en Juillet, à 50% dans le plan d'Octobre, il ne s'embarrasse même pas de petites fables pédagogiques («Qui sont les marchés? Vous, moi…»), il dit bien fort ce qui dérange l'IIF dans le Huffington Post (cf ici):
Le plus inquiétant, c’est que le contribuable européen ne débourse pas un seul Euro à restructurer la dette grecque!
Ce qui, soit dit en passant, est grossièrement faux, sur l’ensemble des plans de sauvetage de la Grèce, sans compter l’Irlande et le Portugal, et avant ça les banques en 2009! Mais si, par pure hypothèse c’était vrai, ce n'eût été que l’application de l’article 125 TFUE du traité de Lisbonne.

Et comme le souvenir d'une finance suffisante, pour ne pas dire criminelle, est plus que jamais imprégnant —vient à l'esprit le billet de l'auteur: les protestataires de Wall Street sont légitimement en colère—, le court-circuiter c'est du même coup supprimer la velléité («légitime», rappelons nous) de lui demander des comptes:
Il n’y a aucune connexion entre cette crise de l’endettement public et celle de la finance en 2008.
La voie libre, il peut ainsi reformuler le problème en accord avec sa doctrine [1]:
Le système de sécurité sociale en France ne peut garantir les paiements des avantages sociaux à la population
Songeons que, en parallèle, Georges Ugeux a tellement pétri son message de soutien à la proposition de Lagarde de re-capitaliser les banques, qu'il en est devenu inopérant. Voici qu'il voudrait depuis peu leur laisser 8 ans pour passer de 5% à 6% de fonds propres, selon ses estimations, à 9%. De plus, il attache beaucoup de conditions à une recapitalisation, si elle devait être inéluctable:
Toute recapitalisation par le contribuable se fera a fonds perdu, comme celle de 2009, si...
Certaines sont valables, mais d'autres ne le sont pas, notamment celle-ci:
Le mode de recapitalisation doit être réversible : il n’est pas nécessaire de donner des fonds propres permanents pour résoudre une solution dont la gravité est provisoire et due à des facteurs auxquels il est possible de porter remède. On pense ici à des quasi-fonds propres tels que des obligations convertibles, assorties d’un taux d’intérêt, d’une échéance et de conditions pénalisantes si, la banque ne faisant pas son devoir, les obligations devaient être converties en actions.
Il fallait de l'audace: c'est exactement ce qui a fait regretter le TARP et sa version européenne, en 2009: prêter, mais sans contrepartie. Notons, au passage, la tromperie contenue dans «fonds propres permanents» : les actions se vendent, c'est pour ça qu'elles ont été inventées! Il ne cache pas sa seule joie, d'ailleurs, à l'annonce du plan d'Octobre, que son désir (de tenir l'état à l'écart) a été exhaussé:
Fort heureusement, ce ne sera pas le contribuable qui assurera cette recapitalisation, mais « le secteur privé »
La stratégie de communication du lobby bancaire, sur la question des recapitalisations, n'aurait été complète sans une argumentation spécifique visant à préserver le statut quo de Too Big Too Fail:
Michel Pébereau juge qu'il est inefficace de cibler trop sévèrement les gros établissements bancaires au prétexte qu'ils présentent un risque systémique plus élevé car de telles mesures fausseraient la concurrence. […] 
[P]lutôt que de se focaliser l’idée d’imposer des ratios de fonds propres plus élevés, les régulateurs devraient selon lui […] Il a en outre plaidé en faveur d’une révision des règles sur les provisions de liquidités fixées par Bâle III, expliquant qu’elles se traduiraient par 1.700 dollars de pertes pour le secteur si elles restaient en l’état.

Bâle III-Pébereau juge inefficace de cibler les grosses banques - La Tribune.fr – 17/02/2011
Notez que, ce qu'il y a de bien avec la concurrence, c'est qu'on on peut l'invoquer à tort et travers : il suffit de trouver le bon journal. En l'occurrence, il n'est pas concevable qu'un gouvernement laisse une banque dont la taille du bilan est un multiple du PIB faire faillite : c'est une subvention qui ne dit pas son nom. L'argument de concurrence faussé est faux.

Maintenant que nous avons passé en revue le discours sur la recapitalisation, cette citation exprime la crainte de Georges Ugeux et, il n'est pas difficile, d'imaginer, celle de l'IIF:
La seule explication est que la recapitalisation des banques européennes dont il est question vise d’autres situations que la Grèce, tout en ne parlant que d’elle.
Autrement dit, forcer les banques à se re-capitaliser, c'est pouvoir se passer de devoir assister les états en situation de défaut. Ça s'appelle de la prévention, et il était temps.  C'est que Harald Hau préconisait, et ce que les gouvernements semblent vouloir mettre en oeuvre dans le plan d'Octobre, avec les réserves d'usage en ce qui concerne l'application, surtout lorsqu'on sait que c'est C.Noyer, qui n'a fait que jurer que les banques n'avaient pas besoin d'être recapitalisées, qui en sera en charge, pour la France, cf le billet du Monde, Dividendes et bonus : Fillon invite les banquiers « à la plus grande modération ». Cf, aussi, notre billet, La recapitalisation des banques bute sur un obstacle: l'Institute of International Finance.

C’est aussi ce que recommendait le Financial Times dans son éditorial d’Août (Lagarde spells ugly truth...):
Le Financial Times diffère de la position de Mme Lagarde sur un point. Le contribuable européen ne devrait plus jouer les pompiers bénévoles envers le système financier. Il faut appliquer le droit des sociétés. Le sauvetage massif mis en place par l’Irlande était une mauvaise idée qu’il ne faut pas reproduire. 
Et de faire une proposition, le debt-equity-swap pour les banques (aucun écho français: sans doute trop jugé trop abscons alors que c'est simple):
Cela signifie, dans la situation présente, que c’est aux créancier de combler les fonds propres qui font défaut en acceptant de modifier leurs créances (obligations) en actions
Une mesure trop expéditive au goût de Georges Ugeux, sans doute, pour qu’il ait fait mine de la confondre avec un debt-equity-swap des entreprises publiques, comme il en était question dans la crise d’Amérique Latine, au travers de nos quelques échanges [2].

[1] Ce raisonnement en deux temps rappelle de façon saisissante celui d'un néo-conservateur épinglé dans le documentaire Inside job, cf ici. En aparté, c'est un refrain qu'il entonne dans un autre article du Huffington Post, à seulement quelques jours d'intervalle, justifiant  les Etats-Unis laissent la Chine (où il dit faire, avec l'Inde, le gros de ses affaires) exporter en paix. Notez la récupération osée du message de Occupy Wall Street («légitime», rappelons nous): «From the Arab world to the Wall Street protesters, we are seeing a generation who resent our lifestyle based on debt. Our pension problems are insurmountable.». Mais l'article contient aussi des perles de sagesse orientale: «I urge everyone to read Wen Jiabao's speech at the WEF in Dalian last month. The Chinese have chosen to prioritize the welfare of their population. Who can argue with that?» [2] une première fois: «Cette operation a ete tentee en Amerique Latine avec peu de succes. On a resolu le probleme avec les « Brady bonds »» et suite à notre insistance que ce n'est pas de ça qu'il s'agit mais de modifier la structure du capital des banques, une deuxième: «Les debt for swaps n’ont pas reussi et ont ete remplaces par les Brady Bonds, qui ressemblen a s’y meprendre au swap propose aux banques europeennes.». Peine perdue…

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